lundi 11 novembre 2013

Cartel

Ridley Scott : un sens aiguisé de la composition plastique et du graphisme, quelques motifs récurrents (la transmission père – fils, l'omniprésence de l'ennemi, marqué par des mondes de guerriers et des figures de femmes fortes, la colorimétrie soignée utilisant des filtres grisâtres, l'esthétique publicitaire, le montage souvent ultra-rapide signé par le fidèle Pietro Scalia, la confrontation de l'illustration et du mouvement, l'usage du story-board …), mais surtout une carrière en dents de scie, des chefs d'œuvre (« Alien, le huitième passager », « Blade Runner », « American Gangster », « Legend »), un drame surestimé (« Thelma & Louise »), des films incompris (« Prometheus », « Les Associés »), d'autres de qualité tout à fait recevable (« Gladiator », « Lame de fond », « La Chute du faucon noir », « Mensonges d'Etat »), des blockbusters mal écrits et/ou mal montés (« 1492 : Christophe Colomb », « Kingdom of Heaven », « Hannibal », « Robin des bois », « À armes égales ») et enfin, un projet personnel mineur (« Une grande année »).
Technicien idéal (rappelons que Ridley Scott est issu du de l'univers de la publicité, où la perfection visuelle est souvent de mise, au détriment du reste), conteur parfois inspiré (hélas pas toujours et c'est d'ailleurs souvent là que le bât blesse), tyran professionnel à ses débuts, Ridley Scott a vécu dans un véritable ascenseur professionnel avec le public: succès colossal et/ou échec monumental. En d'autres termes, l'audience l'a tour à tour adoubé, rejeté, puis à nouveau encensé. Le réalisateur britannique, âgé de 75 ans, s'apprête à sortir son nouveau long-métrage, « Cartel » (« The Counselor » en VO), qui déboule dans les salles le mercredi 13 novembre. Pourvu d'un casting prestigieux (Brad Pitt, Michael Fassbender, Penélope Cruz, Cameron Diaz, Javier Bardem, Dean Norris, John Leguizamo …), « Cartel » s'est fait laminer par la presse us et par le public, avec un accueil glacial le week-end de sa sortie.
Synopsis Allociné : La descente aux enfers d'un avocat pénal, attiré par l'excitation, le danger et l'argent facile du trafic de drogues à la frontière américano-mexicaine. Il découvre qu'une décision trop vite prise peut le faire plonger dans une spirale infernale, aux conséquences fatales.
Scénarisé par Cormac McCarthy – écrivain d'origine, il avait déjà vu ses romans portés sur grand écran à travers les films « De si jolis chevaux », « No Country for Old Men », « La Route » et « Child of God » – « Cartel » est un film bavard, long par moments, composé uniquement de discussions face-à-face déroutantes, mais pourtant parcouru par d'incalculables fulgurances, à commencer par le talent de metteur en scène de Ridley Scott qui signe par exemple, le temps d'une mini-séquence, l'un des plus inventifs gunfights de ces dernières années.
Dans « Cartel », un avocat véreux (le « Counselor » du titre original) connaît une véritable descente aux enfers, conséquence de choix risqués (attirance vers le danger et l'argent facile), et de coïncidences malchanceuses. On retrouve par parcelles ce qui avait plu dans « No Country for Old Men » et « La Route » : le trafic de drogue, les tensions en bordure de la frontière américano-mexicaine, la violence sans concession, mais surtout le nihilisme prononcé, la solitude, l'impuissance, le ton noir et désespéré du romancier, décelable à travers les affreuses visions d'une Amérique pré-Apocalyptique, via le destin fortement tragique des personnages gravitant autour du Councelor, qu'ils soient innocents ou impliqués. De quoi élaborer une sorte de continuum temporel entre le discours extrêmement pessimiste de « No Country for Old Men » (Tommy Lee Jones dégoûté par la cruauté du monde), la dégringolade de Fassbender dans « Cartel » et le monde post-Apocalyptique de « La Route ». En fin de compte, des fondements un peu amers (on accroche ou on refoule), mais qui ont manifestement plu à Ridley Scott, indéniablement dépressif depuis quelques années : les questions existentielles de « Prometheus » (Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ?) et le semi-échec du film, le deuil inachevé de son frangin Tony, décédé par suicide l'été dernier …
La thématique des conséquences de nos actes n'est, quant à elle, pas sans rappeler un certain Guy Ritchie, du moins sur le plan du système de narration, où s'entre-mêle différents personnages confrontés in finale aux mêmes angoisses. 
Le gros souci de « Cartel » – celui qui a probablement déconcerté la presse – est la (fausse) complexité du récit, un récit qui s'emmêle les pinceaux là où il n'y a pas lieu d'être : des conversations inutilement bavardes et impénétrables entre des personnages assez mal caractérisés – McCarthy ayant vraisemblablement fait fi de caresser le spectateur dans le sens du poil – le rythme flottant, avec des scènes qui semblent désarticulées, les dialogues « dynamites » prêts à éclater à tout moment … 
Dommage car le réalisateur britannique s'est pourtant offert un casting de choix pour interpréter ces personnages à l'agonie lente, agressés dans leur humanité : tous les acteurs excellent, à des kilomètres du glamour qu'on aurait pu fantasmer. Quelques mentions : Cameron Diaz et sa scène du « poisson-chat », Javier Bardem et sa coiffure déjantée, et enfin Brad Pitt et son chapeau de cowboy couleur nacrée.
Bilan : La présence de Cormac McCarthy à la plume de « Cartel » est l'un des atouts majeurs du nouveau film de Ridley Scott. L'auteur à succès remarquable et remarqué, dont les œuvres sont lues par Brad Pitt en livre audio et adulées par des célébrités telles que James Franco ou Tommy Lee Jones, insuffle son style désespéré tandis que Ridley Scott entretient un rapport étrange avec ses images (mise en scène étonnamment froide). Peu d'empathie, beaucoup de détachement. On adhère ou on passe son chemin.
Anecdote : Le héros de « Cartel », Michael Fassbender, est « L'avocat » : son nom n'est jamais cité de tout le film. Ce n'est pas cependant pas une première puisqu'on retrouve le même principe notamment dans « Drive » où Ryan Gosling est le « chauffeur » ou dans « The Dark Knight » de Christopher Nolan, où le Joker n'a aucune identité.
La Bande Annonce de Cartel:



NOTE: 6/10

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