jeudi 28 novembre 2013

The Immigrant

Hué par la presse internationale et gommé du planning des Oscars avant même l’annonce des nommés (la sortie américaine a, en effet, été repoussée à début 2014), « The Immigrant », anciennement baptisé « Low Life » puis « Nightingale », a également été boudé lors de son passage cannois en compétition officielle en mai dernier. Pourvu d'un casting alléchant (Joaquin Phoenix, Marion Cotillard, Jeremy Renner) et d'un metteur en scène talentueux derrière la caméra (James Gray, auteur de « Little Odessa », « The Yards », « La Nuit nous appartient », « Two Lovers »), le film sort en salles le mercredi 28 novembre face au mastodonte « Hunger Games – L'embrasement ».
 
Synopsis Allociné : 1921. Ewa et sa sœur Magda quittent leur Pologne natale pour la terre promise, New York. Arrivées à Ellis Island, Magda, atteinte de tuberculose, est placée en quarantaine. Ewa, seule et désemparée, tombe dans les filets de Bruno, un souteneur sans scrupules. Pour sauver sa sœur, elle est prête à tous les sacrifices et se livre, résignée, à la prostitution. L'arrivée d'Orlando, illusionniste et cousin de Bruno, lui redonne confiance et l'espoir de jours meilleurs. Mais c'est sans compter sur la jalousie de Bruno …
Avec « Two Lovers », James Gray délaissait le polar noir (« The Yards », « La Nuit nous appartient ») pour un mélo éblouissant et romanesque, aux allures de conte désarmant. Un film illuminé par son histoire, simple mais émouvante, mais aussi par son casting radieux (la beauté foudroyante du duo Joaquin Phoenix / Gwyneth Paltrow, le personnage très ambivalent interprété par Vinessa Shaw). « The Immigrant » poursuit sur cette lancée mélodramatique, mais manque peut-être d’intensité et d’émotions.
James Gray retrouve ses thèmes de prédilection (l’immigration, la ville qui ronge les habitants, l’humanité en putréfaction), et le film pourrait s’apparenter à une antithèse de « Gatsby le magnifique ». Les mêmes sujets y sont, en effet, abordés de manière frontale par un réalisateur engagé, hanté par les fantômes du passé, avec un point de vue en quasi miroir de celui de Fitzgerald : le début des années 1920, la puissance de l’argent, le rêve américain (dont l’ambassadeur est ici Orlando alias Jeremy Renner), l'adultère, la recherche du bonheur, la quête désespérée, la traversée de la mondanité, des apparences et de la luxure … Jolie proposition bien que dénuée d’authentiques bouffées narratives, mais la froideur qui dégage de « The Immigrant » (excepté sur la fin) échoue complètement d’empathiser le spectateur.  
On peut tout de même féliciter Gray pour le travail d’orfèvre réalisé sur la reconstitution d’époque et la mise en scène : la lumière crépusculaire somptueuse et la photo brune dorée, tendance sépia, du chef op’ Darius Khondji, les costumes fidèles aux origines des personnages, les cadrages soignés et éclatants, l’élégance de l’ensemble, le plan final brillant, traduisant à la perfection les trajectoires de vie opposées des protagonistes, l’impeccable direction d’acteurs avec notamment un Joaquin Phoenix une nouvelle fois formidable (en maquereau des héritières industrielles) et une Marion Cotillard irréprochable (un accent polonais hallucinant, un jeu nuancé, une grâce inespérée sur la fin).
Bilan : « The Immigrant », nouveau long-métrage en demi-teinte du cinéaste James Gray, est nappé d’un classicisme délicieux (photo splendide de Khondji, mise en scène sublime). Le contenu est, en revanche, nettement moins onctueux et n’atteint jamais la puissance de ses précédents films.
Anecdote : James Gray dût abandonner le titre « Low Life » à cause d’un problème de droit. Un roman portait, en effet, déjà le nom « LowLife » (pas tout à fait le même donc puisque non séparé en deux mots distincts) et son auteur, Luc Sante, exprima personnellement à Gray son refus que ce titre soit utilisé. Le film a ensuite été retitré « The Untitled James Gray Movie » pendant un long moment, jusqu’à ce que le metteur en scène entende un jour le speech d’une actrice qui disait « le chant du rossignol est plus doux aux heures sombres ». Il décida donc de rebaptiser son film « Nightingale » (traduction anglaise de « Rossignol »), titre hélas détesté par son entourage personnel. Il reprit alors le titre « Low Life », mais le studio insista pour qu’il change de nouveau. Il opta finalement pour une dénomination plus convenue : « The Immigrant ».

La Bande Annonce de The Immigrant:

 
NOTE: 6/10     

La Vénus à la fourrure

« La Vénus à la fourrure », dernier long-métrage de Roman Polanski, a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2013. Salué unanimement par la critique, le film, directement inspiré d’une pièce de théâtre américaine (Venus in Fur) écrite par David Ives, est pourtant reparti bredouille de la croisette. Atterrissage en salles prévu le mercredi 13 novembre pour se forger sa propre opinion.
Synopsis Allociné : Seul dans un théâtre parisien après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il s’apprête à mettre en scène, Thomas se lamente au téléphone sur la piètre performance des candidates. Pas une n’a l’envergure requise pour tenir le rôle principal et il se prépare à partir lorsque Vanda surgit, véritable tourbillon d’énergie aussi débridée que délurée. Vanda incarne tout ce que Thomas déteste. Elle est vulgaire, écervelée, et ne reculerait devant rien pour obtenir le rôle. Mais un peu contraint et forcé, Thomas la laisse tenter sa chance et c’est avec stupéfaction qu’il voit Vanda se métamorphoser. Non seulement elle s’est procurée des accessoires et des costumes, mais elle comprend parfaitement le personnage (dont elle porte par ailleurs le prénom) et connaît toutes les répliques par cœur. Alors que « l’audition » se prolonge et redouble d’intensité, l’attraction de Thomas se mue en obsession …
Pour son 21ème long métrage en qualité de réalisateur, Roman Polanski a jeté son dévolu sur la pièce de théâtre inspirée du roman érotique de Sacher-Masoch, l’auteur ayant prêté son patronyme au « masochisme », rien que ça ! Et pour mettre en scène ce huis-clos théâtral sadomaso, Polanski a fait appel face caméra à l’excellent Mathieu Amalric, ainsi qu’à son épouse, la comédienne Emmanuelle Seigner, déjà habituée à l’exercice (« Frantic », « Lune de fiel », « La Neuvième porte »). 

Filmé dans le décor feutré du théâtre Recamier (fermé depuis 1978), « La Vénus à la fourrure » démarre timidement par une rencontre hasardeuse entre un metteur en scène bobo misogyne et une comédienne de quartier, déjantée, écervelée et vulgaire de prime abord. Les choses évoluent rapidement vers des échanges verbaux complexes entre ces deux là, le mystère et l’insolence laissant progressivement place à la nature réelle du démiurge Amalric. Cette relation pervertie, et là est la force de l’œuvre, déteint sur le spectateur qui devient à la fois témoin privilégié de l’expérience vécue par Mathieu Amalric, tout en étant partie prenante de son voyeurisme. L’ironie de la mise en scène nidifie, quant à elle, lorsque le spectateur se trouve embarqué dans les obsessions et les tourments d’Amalric. Utilisation savoureuse des espaces (amortissement du moindre mètre carré de la scène), face-à-face filmé avec des champs / contre-champs maîtrisés, artifices de coulisse inventifs et savoureusement dosés, Polanski s’en donne à cœur joie et, fort de ce brillant stratagème, se permet de déjouer les codes du théâtre pour mieux les transposer dans une œuvre entièrement cinématographique à la fois drôle (un humour noir bienvenu), déroutante et ambiguë (les rapports de sexe, de force, de domination) et jouer avec son public, s’offrant même le luxe d’une fin fantaisiste audacieuse, mais un peu grotesque n’ayons pas peur de le dire.
Là où Polanski fait fort, c’est lorsqu’il entretien le doute sur les éléments autobiographiques (Amalric étant clairement une projection du metteur en scène), et que le spectateur lui-même perd parfois son latin entre la « vérité » du film et celle du parcours perso du réalisateur franco-polonais. Mise en abyme jubilatoire (fusion fiction / réalité) pour qui connaît son histoire !
On remarquera côté casting que le tandem Amalric / Seigner s’en tire à merveille, avec une mention pour la prestation nuancée de Mme Polanski à la ville, qui devrait tout logiquement être auréolée d’une nomination aux César. Entendement parfait pour le rôle !
Bilan : Après le huis-clos grinçant « Carnage » et le thriller crypto-politique « The Ghost writer », tous deux surestimés, Roman Polanski revient pour notre plus grand plaisir aux intrigues fantastiques tarabiscotées (un jeu de manipulation étonnant, une ode à la Femme) dans un huis-clos théâtral audacieux, pertinent et mené avec panache par le duo Amalric / Seigner.  
Anecdote : A l’origine, La Vénus à la fourrure est un roman écrit en 1870 par l’auteur autrichien Leopold von Sacher-Masoch. Il est le premier ouvrage de la série Love et l’un des fondements de ce qui sera appelé plus tard le masochisme.

La Bande Annonce de La Vénus à la fourrure:

 
NOTE: 7,5/10

mercredi 20 novembre 2013

Les Garçons et Guillaume, à table !

Après une standing ovation à la Quinzaine des Réalisateurs lors du dernier Festival de Cannes et une pluie de récompenses à effondrer le rebord d'une cheminée, « Les Garçons et Guillaume, à table ! », première réalisation de l'acteur made in Comédie Française Guillaume Gallienne, sort enfin en salles. « Les Garçons et Guillaume, à table ! »  est l'adaptation de la pièce de théâtre éponyme écrite par Guillaume Gallienne, qui bénéficie d'une haute valence autobiographique. Critiques dithyrambiques méritées ou comédie surestimée façon « Camille Redouble » l'an dernier ?
Synopsis Allociné : Le premier souvenir que j'ai de ma mère c'est quand j'avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : « Les garçons et Guillaume, à table ! » et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant : « Je t'embrasse ma chérie » ; et bien disons qu'entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus.
Des gags racoleurs pipi-caca (Diane Kruger en proctologue allemande) aux situations caricaturales grotesques et embarrassantes, d'une facilité extrême (l'épanouissement sexuel d'un garçon qui se cherche passe par des étapes de « test » au pensionnat, à l'armée ou en boîte gay), le premier constat face aux « Garçons et Guillaume, à table ! » s'énonce comme un film qui n'y va vraiment pas avec le dos de la cuillère. Une première œuvre à des kilomètres de la comédie de haute volée décrite par tous.
Heureusement, le portrait de la mère, Melitta Gallienne, incarnée par Guillaume Gallienne lui-même (meilleure idée de l'année?), mérite amplement l'attention en permettant à Gallienne de filmer quelques séquences familiales touchantes et raffinées, bercées d'une incroyable et étonnante justesse. De même, le sujet grave et très air du temps tissé en arrière-fond (un garçon considéré comme homosexuel par tous – y compris sa propre famille – avant qu'il ne s'interroge lui-même sur la question) est intéressant, même si peu subtilement traité, et annihile la grossièreté de certaines scènes (l'apparition fugace et improbable de Reda Kateb par exemple). Pour expliquer ces dernières, certains rétorqueront la nécessité de passer par des lieux où les codes de genre sont balisés, manœuvre pour appuyer le propos ; de même, ils souligneront le besoin d'introduire la vulgarité – entendons avec parcimonie – pour jouer à fond la carte de la « comédie incontournable de fin d'année », mais ne soyons pas dupes, il est clair que Gallienne patauge pour trouver l'équilibre entre les deux sphères (la délicieuse délicatesse et le comique lourdaud).
À cet effet, si le rythme est accrocheur, la mise en scène ludique (les travellings sont naïfs mais réussis, le montage parallèle, les effets spéciaux avec les 2 Gallienne dans le même plan …), l'écriture parfois élégante, l'auto-analyse Allenienne adéquate, « Les Garçons et Guillaume, à table ! » pédale allégrement dans la choucroute pour muscler les zygomatiques. En partie dû au fait que le « naturel » du film, dont se sont emparés les médias depuis des années (on connaît tous l'histoire perso de Gallienne), est poussé à son paroxysme (comprenez Gallienne s'auto-centre).
Bilan : « Les Garçons et Guillaume, à table ! » est une comédie surestimée. S'il est attachant, sincère, distrayant et admirablement mis en scène, le premier film de Guillaume Gallienne est plombé par l'épaisseur du raisonnement (« il y a l'inconscient mais il faut aussi s'assumer soi-même »), ainsi que la maladresse des scènes comiques, toutes vouées au bouillon. 

Anecdote : Peu de temps après être passé sur le divan dans la vraie vie, Guillaume Gallienne a prêté ses traits au psychiatre Samuel Pupkin dans le film « Narco ».
 
La Bande Annonce du film Les Garçons et Guillaume, à table ! :
 
 
NOTE: 6/10
 

lundi 18 novembre 2013

Les Rencontres d’après minuit

En voilà un film qui aura fait du bruit. « Les Rencontres d’après minuit », premier long métrage de Yann Gonzalez – frère d’Anthony Gonzalez, frontleader charismatique du groupe M83 – a, en effet, fait couler beaucoup d’encre lors de son passage cannois à la Semaine de la Critique en mai dernier. Huis clos boboïsant et subversif pour les uns, coup de fouet dans l’avant-garde cinématographique française pour les autres, « Les Rencontres d’après minuit », en salles le 13/11/13, intrigue, questionne, passionne, refoule, divise … Qu'en est-il réellement ?
Synopsis Allociné : Au cœur de la nuit, un jeune couple et leur gouvernante travestie préparent une orgie. Sont attendues La Chienne, La Star, L’Etalon et L’Adolescent …
Avec « Les Rencontres d’après minuit », Yann Gonzalez espère constamment jouer la carte du cinéma français bis d’antan, celui des années 70 où tout était permis (ou presque), mais se retrouve à user (et abuser) d’une théâtralité grossière à la Cocteau. A se demander sans cesse quelle légitimité l’apprenti metteur en scène a pour proposer une œuvre aussi arty et conspuante, sans confectionner derrière un message un tant soi peu tangible.
Car si « Les Rencontres d’après minuit » sont lumineuses (plusieurs plans sidérants), affolantes et exaltées, lyriques, tendres, élégantes et délicates, mélancoliques, radicales, magnétisantes (merci la BO électrique de M83), elles sont aussi incroyablement pédantes et mondaines (l’impression de ne pas être invités à la fête alors qu’on est spectateurs, un comble !), et surtout dénuées de tout propos.
Les dialogues sont assez amusants, les situations parfois très drôles (Eric Cantona qui évoque la taille et la fonctionnalité de son pénis), le montage réussi (les séquences où chacun évoque tour à tour les fantômes de son passé sont ponctuées de morceaux musicaux stupéfiants), le récit audacieux, l’ambiance Lynchienne enivrante, mais le scénario manque cruellement d’animation, de vie et de chair. La primauté des sentiments pourquoi pas, mais il faut aller plus loin que ça Mr Gonzalez !
Bilan : « Les Rencontres d’après minuit » est un OCNI (Objet Cinématographique Non Identifié) chic et choc, un premier film qui a effectivement un charme renversant et raffiné dans la forme, mais qui est dépourvu de contenu. La promesse d’un propos est anéantie par l’abstraction, dommage !
Anecdote : L'acteur Alain-Fabien Delon n'est autre que le fils cadet d'Alain Delon, il fait ici ses premiers pas au cinéma. Yann Gonzalez a révélé que c'est en voyant le jeune homme dans un entretien accordé à TF1 qu'il a eu l'idée de l'engager « Les fils de, ce n'est pas mon truc, mais quand j'ai vu Alain-Fabien, il avait un mélange de fragilité et d'arrogance qui m'a touché tout de suite. […] Il a quelque chose d'instinctif, une présence immédiate. »
 
La Bande Annonce du film Les Rencontres d'après minuit:
 
 
NOTE: 5,5/10
 

Hunger Games – L'embrasement

Le phénomène surprise éclatant « Hunger Games » au printemps 2012 a rivé les regards ambitieux d’Hollywood vers la nouvelle saga du teen-movie à succès. Harry Potter et Bella Swan sur le bord de la route (pour combien de temps ?), Katniss Everdeen peut enflammer le box-office mondial (691 millions de dollars récoltés pour une mise d'à peine 78 millions). Un sacré pactole qui place donc le deuxième volet sur une estrade, entre attentes fournies par un public exigeant et prévisions chiffrées. Retour à Panem, pour « Hunger Games – L'embrasement » (« Catching Fire » en version originale).
Synopsis Allociné : Katniss Everdeen est rentrée chez elle saine et sauve après avoir remporté la 74è édition des Hunger Games avec son partenaire Peeta Mellark. Puisqu'ils ont gagné, ils sont obligés de laisser une fois de plus leur famille et leurs amis pour partir faire la Tournée de la victoire dans tous les districts. Au fil de son voyage, Katniss sent que la révolte gronde, mais le Capitole exerce toujours un contrôle absolu sur les districts tandis que le Président Snow prépare la 75è édition des Hunger Games, les Jeux de l'Expiation – une compétition qui pourrait changer Panem à jamais …
Premier constat : après avoir signé le premier volet, Gary Ross a bel et bien cédé le fauteuil de réalisateur à Francis Lawrence. Exit les nausées saisissantes provoquées par une caméra à l’épaule osée mais maladroite. « L'embrasement » se montre au contraire d’une grande fluidité et bénéficie même de plusieurs plans somptueux, témoins d’un savoir-faire méconnu de la part du metteur en scène de « Constantine » et « Je suis une légende ». On toucherait presque à l’espièglerie tant la violence ici n’est quasiment plus édulcorée, et surtout dépourvue des artifices grossiers et illisibles qu’« Hunger Games » laissait redouter. La mise en scène s’en trouve plus immersive et ne perd pourtant jamais en recul.

Dans son entier, le film est bien servi par les prestations irréprochables d’un casting pointu. Jennifer Lawrence brille en son centre, sans pour autant faire de l’ombre à ses partenaires. Quand les têtes connues persistent dans l’excellence, les nouveaux venus trouvent naturellement leurs places. Les jeunes comédiens Josh Hutcherson & Liam Hemsworth continuent d’étonner dans leur rôle respectif. Woody Harrelson & Elizabeth Banks sont fréquemment plus dénudés dans leurs émotions. Les triomphants Donald Sutherland & Stanley Tucci ne cessent de fasciner, de terrifier ou d’éblouir dans toute la richesse de leur jeu. Mais c’est avec les newcomers Sam Claflin & Jena Malone, qui l’un comme l’autre crèvent l’écran, qu’on sera le plus surpris… Finalement plus qu’avec un Philip Seymour Hoffman rutilant, quoique quelque part sous-employé.
Autre fulgurance du film : sa direction artistique. La saga accorde un rare soin à ses environnements, et ce second épisode rehausse la crédibilité de Panem ; les décors reprennent les partis pris du premier métrage en apportant de remarquables trouvailles. Des districts aux bâtiments monumentaux du Capitole, on devine l'univers d’« Hunger Games » en perpétuelle réinvention sous la palette ambitieuse de ses concepteurs. Même soucis du détail pour les costumes, d’une finesse visible et bien moins en contraste avec le ton du film que ne l’étaient ceux des premiers jeux de la faim. La bande-originale est, quant à elle, bien sentie, parfois tire-larmes mais jamais clinquante.

« L'embrasement » ne divise en définitive que dans sa structure à deux versants. Dans sa première partie, l’intrigue entretient une proximité qui captive. On suit les problématiques de médiatisation et de subversion avec intérêt, ce sont d'ailleurs ces thématiques qui différencient la saga des teens-movies romantiques du même acabit. La photographie et les libertés prises avec le matériau d’origine – très légères, le degré de fidélité étant ici exceptionnellement élevé – conduisent aussi le film dans ce sens.
C'est finalement quand les hostilités se font plus tangibles – difficile de trop en dévoiler – que « L’embrasement » est capricieux de vouloir presser le pas. À tort : il en abandonne le tissage méticuleux des relations et la montée en pression des enjeux pour ne faire que les survoler in finale, cochant les morts comme autant de cases insipides et allant au superficiel comme si c’était l’essentiel. L’émotion paraît mécanique, fugace et donc inexistante. Regrettable, et amoindrissant forcément un cliffhanger haletant …. jusqu’à « La Révolte » et sa vision en deux chapitres pour le cinéma, à paraître dès l’an prochain.
En deux mots : Artistiquement puissant et éloquent dans le respect de l’œuvre dont il est l’adaptation, « L’embrasement » délivre de solides sensations pour un teen movie juste et divertissant. Perdre en intensité dans les pics de tension en devient d’autant plus frustrant, mais voir de jeunes acteurs soutenir un film au caractère aussi marqué (certainement davantage que le précédent) est un plaisir qu’on aurait du mal à bouder.
Anecdote : Artiste inconnue à l'époque du premier opus, Jennifer Lawrence n'avait perçu (que) 500.000 dollars pour sa performance. Un Oscar de la meilleure actrice et une ultra-médiatisation plus tard, l'actrice a touché 10 millions de dollars pour ce second épisode, soit 20 fois plus. La rançon de la gloire.

Article rédigé par Douglas Antonio
 
La Bande Annonce d'Hunger Games - L'embrasement:
 
 
NOTE: 7,5/10
 

dimanche 17 novembre 2013

Paranoïa

Robert Luketic, dont le genre de prédilection a toujours été les comédies romantiques (« La Revanche d'une blonde », « Kiss & Kill », « L’Abominable vérité »), décide de se lancer dans un autre style cinématographique : le thriller. Non sans mal. « Paranoïa » accumule une tonne de déboires, mais le plus évident semble être qu’aucun des personnages n’apparaît comme paranoïaque. Ce qui est pour le moins embêtant compte tenu du titre. 
Synopsis Allociné : Employé par Wyatt Telecom, Adam Cassidy commet une erreur très coûteuse pour sa société. En échange de son indulgence, le PDG lui demande d'infiltrer son principal concurrent, dont le patron n’est autre que l'ancien mentor de ce dernier...
Ce long-métrage qui devait lancer la carrière du frangin Hemsworth (Liam) s’est difficilement fait remarquer outre-Atlantique. Et pour cause, un scénario grossier – où les grands de l’industrie télécom mènent une guerre à coups d’écrans tactiles et de réseaux sans fil – une réalisation et un montage indécemment fagotés et l’absence de tension pourtant si caractéristique et nécessaire dans les thrillers. Étrange vision du monde moderne que nous sert Luketic. Brooklyn apparaît encore comme le « quartier pauvre » de NYC, les entreprises de technologies, habituellement situées dans la Silicon Valley, trouvent leur place dans le Lower Manhattan. Un univers dans le lequel évolue Adam Cassidy, beau-gosse se promenant souvent torse-nu, talentueux, mais dont la vie n’a pas toujours été facile : une mère décédée, un père malade (Richard Dreyfruss). Adam commet une erreur professionnelle, on lui propose alors de se racheter illégalement grâce à l’espionnage industriel. Il fera équipe dans la société concurrente avec Emma (Amber Heard), une working-girl qui souhaite faire son trou et, accessoirement, ex-coup d’un soir dudit jeune homme. Bref, un scénario cousu de fil blanc, sans grand intérêt en dépit d'un retournement de situation en conclusion.
Pourtant adapté du célèbre best-seller éponyme de Joseph Finder – illustre romancier du thriller d’entreprise – le film parvient tout de même à glisser entre les doigts du réalisateur australien. Jouant sur des codes déjà éculés cent fois au cinéma – le fameux espionnage du portable de la copine qui est encore sous la douche – le suspense et la tension s’essoufflent en quelques secondes laissant très vite le spectateur dans l’ennui. De même, les plans de New-York (dont certains ont été ouvertement tournés à Philadelphie) ne font qu’enrichir les clichés de cartes postales du touriste lambda. « Paranoïa » ne possède par ailleurs aucune vision novatrice. Flairant sûrement les longueurs narratives et les tentations dépourvues d’ambiance pesante, Luketic a tout de même essayé de ressaisir son film par d'invraisemblables twists, la plupart faisant plouf car artificiels et maladroits. Le spectateur finit ainsi las de ces nombreux rebondissements jusqu’à s’y perdre. Le film en pâtit considérablement, demeurant incroyablement lent, lisse et superficiel.
Côté distribution, Hemsworth et Heard formeraient un magnifique couple pour une pub de la nouvelle collection casual d’H&M. Leurs personnalités semblent se tenir devant tant de beauté stéréotypée. De surcroît, Amber Heard rejoue sans vraiment y croire son rôle dans Syrup où, pour le coup, la pertinence était de mise.
A l’appel des anciens combattants surqualifiés, l'ex-duo d’ « Air Force One » fonctionne mal. Harrison Fort est usé, tandis qu'Oldman incarne un personnage dont la noirceur et la profondeur sont seulement effleurées, ne lui assurant certainement pas un rôle à hauteur de son talent. Les techniques de mise en scène demeurent convenables et professionnelles, bien que Luketic semble avoir un goût prononcé pour les time-lapse/slow-motion jusqu'à l'overdose, ainsi que pour les images saccadées. Des choix artistiques qui n’ont guère de sens malgré leur esthétique.

Bilan : Luketic signe un thriller lambda pour teenagers, fade et gauche, à mille lieux de l'enquête à tension et à rebondissements souhaitée. Dommage, le best-seller, mieux adapté, aurait pu donner lieu à un grand film.
Anecdote Allociné : On aurait pu voir Kevin Spacey dans « Paranoïa ». Il s'était vu proposer le rôle de Nicholas Wyatt, le PDG de l'entreprise Wyatt Telecom, qu'il a refusé. C'est finalement le britannique Gary Oldman qui incarne ce personnage.
 
La Bande Annonce de Paranoïa:
 
 
NOTE: 4/10
 
Article rédigé par Cléa Carré
 

samedi 16 novembre 2013

Prince of Texas

« Prince of Texas », nouveau long métrage du réalisateur David Gordon Green, est le remake de « Either Way », un film islandais de Hafsteinn Gunnar Sigurasson sorti en 2011 mais inédit en France. Présenté en avant-première mondiale au Festival de Sundance et récompensé de l'Ours d'argent du meilleur réalisateur au Festival de Berlin 2013, « Prince of Texas » est pourtant paru en catimini au mois d'octobre dans l'hexagone, face aux poids lourds « Thor : Le Monde des ténèbres », « Blood Ties », ou encore « Snowpiercer, Le Transperceneige ».
Synopsis Allociné : Été 1988, Texas. Alvin et Lance travaillent ensemble sur le marquage d'une route endommagée par un feu de forêt. Tandis que l'un profite des joies de la nature et des grands espaces, l'autre ne pense qu'aux fêtes et aux filles …
David Gordon Green avait fortement déçu avec ses films produits au sein de majors, que ce soit la comédie Moyen-Âgeuse « Votre Majesté », ou le très médiocre « Baby-sitter malgré lui ». « Prince of Texas » marque son retour au cinéma indépendant tendance Terrence Malick (« George Washington », « L'Autre rive ») et nous satisfait déjà en ce sens. Croisement entre « Gerry » de Gus Van Sant et « Mario Bros », « Prince of Texas » est un mash-up insondable, une histoire d'amitié en milieu naturel doublée surtout d'un voyage initiatique intérieur et externalisé, bouleversé par des questionnements et des sentiments refoulés.
Paul Rudd y est touchant en ouvrier hermétique au monde qui l'entoure, Emile Hirsch dégage quelque chose d'interloquant, les riffs d'Explosions in the sky, groupe pop-indie qui compose la bande-son, ajoute au spleen de cette balade mélancolique.
Bilan : David Gordon Green renoue avec l'amertume low-fi de son début de carrière prometteur et signe un film à la fois étonnant et fascinant sur l'amitié, les rencontres, l'amour, le hasard, l'émoi intérieur.
Anecdote : Le réalisateur David Gordon Green a de nombreux points communs avec le célèbre réalisateur / producteur Judd Apatow : les acteurs. Dans « Prince of Texas », il met en scène Paul Rudd, un habitué des productions Apatow. Green a également tourné avec Jonah Hill dans « Baby-sitter malgré lui », ou encore Seth Rogen dans « Délire Express », produit par un certain ... Judd Apatow.
 
La Bande Annonce de Prince of Texas:
 
 
NOTE: 6,5/10

Évasion

En 2010, « Expendables » donnait une seconde chance aux gros bras des 80's (Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger, Bruce Willis, Dolph Lundgren, Mickey Rourke ...) à l'occasion d'un revival actioner sympa, dynamique mais surtout brillamment mis en scène par Stallone en personne (le côté old school sous tendu par plusieurs effets : utilisation de cinq caméras et d'une steadicam, quasiment aucun effet visuel utilisé, des comédiens casse-cou, équipement avec les armes de destruction les plus puissantes au monde, beaucoup de préparation, lieux de tournage exotiques). Une suite ordinaire et un piètre film en solo chacun plus tard (« Du plomb dans la tête » pour Stallone, « Le Dernier rempart » pour Schwarzy), Stallone & Schwarzenegger se retrouvent têtes d'affiche d'un nouveau long métrage, cette fois sans la compagnie de leurs camarades musclés : « Évasion », réalisé par le faiseur Mikael Hafström.

Synopsis Allociné : Ray Breslin est un ingénieur spécialisé dans la conception de prisons ultrasécurisées. Il teste lui-même l'efficacité de ses bâtiments en se faisant enfermer puis en s'évadant. Contacté par une société privée souhaitant tester un concept révolutionnaire de prison hi-tech, il se retrouve prisonnier. Piégé dans ce complexe ultra-moderne, harcelé par un directeur impitoyable et son gardien corrompu, Ray découvre une conspiration pour le faire disparaître à jamais. Sa seule chance de survie : une alliance avec Emil Rottmayer, un co-détenu ayant lui aussi un secret. Pour avoir une chance de s'évader, ils vont d'abord devoir se faire confiance.
« Évasion » aurait pu être un grand actioner movie il y a 20 ans plus tôt et s'il avait été fagoté par un certain John McTiernan, ou du moins par un réalisateur ambitieux et autrement plus impersonnel que Mikael Hafström, auteur des médiocres « Dérapages », « Chambre 1408 » et « Le Rite ». Sauf que « Prison Break » est passé depuis par là et qu'« Évasion » apparaît purement comme une pâle copie de la série créée en 2005 par Paul Scheuring, tant le scénariste Miles Chapman semble avoir intégralement pompé la trame du TV show carcéral. Car ce n'est pas seulement le plot principal dont il s'agit – un ingénieur se fait volontairement enfermé dans un pénitencier ultra-sécurisé avec un but précis – mais aussi des intrigues secondaires (la conspiration gouvernementale, le personnage mystérieux incarcéré et accusé d'avoir caché un magot dans un endroit connu de lui seul à l'extérieur), des personnages (le héros hypermnésique, l'infirmière Sarah Wayne Callies est remplacé par le médecin Sam Neill, Charles Westmoreland par Schwarzenegger, le flic ripoux), des twists (la révélation sur l'identité du détenteur du fameux butin évoqué plus haut) …
Passé ces effroyables constations, « Évasion » reste un film appréciable, à mater entre potes. En somme, un thriller à pitch honnête, qu'on regarde sans bouder, voire même en prenant un certain plaisir (l'affrontement dantesque entre nos deux ténors musclés le temps d'une séquence, d'ailleurs trop courte, dommage), réhaussé par une intrigue prenante, à défaut d'être originale, quelques plans badass (Schwarzy qui tient une mitraillette Gatling) et des punchlines tordantes (« You Hit Like A Vegetarian »). Par contre, le bât blesse côté des bad guys avec des Jim Caviezel & Vinnie Jones qui cabotinent comme des porc, respectivement en directeur de prison sadique & garde du corps bourrin, et un Vincent D'Onofrio absent.
Bilan : Une série B au synopsis estimable, qui aurait certainement gagné en spectateurs et en qualité si elle était sortie 20 ans plus tôt, avec des youth versions de Stallone & Schwarzy, une baston plus longue entre les deux et des moments encore plus jouissifs.
Anecdote : À l'origine, Vinnie Jones devait jouer dans « Rambo IV » avant que ce dernier ne prenne finalement une toute autre direction scénaristique. C'est donc en toute logique que Stallone, fan de l'ex-footballeur, lui a proposé un rôle dans « Évasion ».
 
La Bande Annonce d'Evasion:
 
 
NOTE: 5,5/10

La Stratégie Ender

« La Stratégie Ender » est l’adaptation ciné du roman SF éponyme d’Orson Scott Card, publié en 1985 et réputé culte. Réalisé par le tâcheron Gavin Hood, à qui l’on doit le calamiteux spin-off « X-Men Origins : Wolverine », « La Stratégie Ender », en salles le mercredi 7 novembre, est produit par Summit Entertainment, qui espère ainsi lancer une nouvelle franchise lucrative – à l'instar de son ex-poule aux œufs d’or « Twilight » disparue l'an dernier – après plusieurs tentatives infructueuses cette année : l’échec retentissant de la potentielle saga « Sublimes Créatures » en février dernier, la semi-réussite « Warm Bodies » quelques mois plus tard …
Synopsis Allociné : Dans un futur proche, une espèce extraterrestre hostile, les Doryphores, ont attaqué la Terre. Sans l’héroïsme de Mazer Rackham, le commandant de la Flotte Internationale, le combat aurait été perdu. Depuis, le très respecté colonel Graff et les forces militaires terriennenes entraînent les meilleurs jeunes esprits pour former des officiers émérites et découvrir dans leurs rangs celui qui pourra contrer la prochaine attaque. Ender Wiggin, un garçon timide mais doté d’une exceptionnelle intelligence tactique, est sélectionné pour rejoindre l’élite. A l’académie, Ender apprend rapidement à maîtriser des manœuvres militaires de plus en plus difficiles où son sens de la stratégie fait merveille. Graff ne tarde pas à le considérer comme le meilleur élément et le plus grand espoir de l’humanité. Il ne lui manque plus qu’à être formé par Mazer Rackham lui-même, pour pouvoir commander la Flotte lors d’une bataille homérique qui décidera du sort de la Terre.
Ce qui est ennuyeux dans « La Stratégie Ender », c'est que Gavin Hood se prend méchamment au sérieux (le ton dark, l'Inception Sound pour rendre l'épopée spatiale épique, la hiérarchie militaire avec le comédien sergent-instructeur qui cabotine à mort), et se la joue Joseph Kosinski (« Tron l'héritage », « Oblivion ») côté design, sans même se soucier d'un éventuel plagiat. Ainsi, « La Stratégie Ender » est constamment tiré vers le bas par une mise en scène pataude, totalement impersonnelle et sans relief, voulant à tout prix transformer le truc en « grand » film science-fiction qu'il n'est hélas jamais.
Encore plus déplorable est le scénario invraisemblable : confier l'avenir de la planète Terre à des gamins accro aux jeux vidéos ? Gavin Hood effectue là un pathétique travail d'adaptation, se contentant de survoler machinalement les thèmes magistraux du roman (la guerre, les génocides …) pour se concentrer uniquement sur des scènes d'action bêta et qui plus est, mal cadrées. Dommage car « La Stratégie Ender » relève le niveau dans ses dernières minutes grâce à son twist final politique intéressant car inattendu, qui aurait sans doute mérité un traitement plus approfondi.
Côté casting, le jeune Asa Butterfield s'en tire pas trop mal en sauveur du monde malgré lui, et sa partenaire, Hailee Stenfeld, remarquée dans l'excellent « True Grit », lui donne la réplique avec panache. Chez les « vieux », Harrison Ford incarne sans brio un mentor cynique et dénué de charisme, tandis que Ben Kingsley semble un peu perdu dans ce blockbuster boursouflé.
Bilan : Énième tentative exécrable d'une nouvelle « saga fantastique pour ado boutonneux juteuse au box-office » pour le studio Summit Entertainement. « La Stratégie Ender » est esthétiquement plaisant (une copie visuelle de « Tron l'héritage » en gros), bénéficie d'un casting jeune adapté mais se casse la figure dans ses dialogues, son ton ultra sérieux et son polissage de l'âpre message moral.
Anecdote : Orson Scott Card a eu de nombreuses opportunités d'adaptations de son roman, il n'a jamais accepté d'en céder les droits, en raison de différents artistiques. Pourtant, dès 1999, Card discutait du choix d'acteur éventuel pour incarner Ender, pressentant alors Jake Llyod dans le rôle et priant les fans du roman de ne pas le juger sur sa seule performance de « Star Wars : Épisode I – La Menace fantôme ». Le projet fut au final abandonné, tout comme celui de 2007, réalisé par Wolfgang Petersen, qui ne dépassera pas le stade de la pré-production.
 
La Bande Annonce de La Sratégie Ender:
 
 
NOTE: 4/10