dimanche 5 janvier 2014

Yves Saint Laurent

2014, année Yves Saint Laurent ? Sur grand écran, le couturier disparu en 2008 brillera, on l’espère, par deux fois. Le projet de Bertrand Bonello (« L'Apollonide – souvenirs de la maison close »), intitulé « Saint Laurent », retracera dès mai prochain la période 65-76 du styliste avec Gaspard Ulliel dans le rôle-titre et Jérémie Renier en Pierre Bergé. Mais c’est le film « Yves Saint Laurent » qui lui précède en ce mois de janvier qui nous intéresse aujourd'hui, Jalil Jespert officiant derrière la caméra pour un biopic ayant reçu l'approbation officielle et le soutien de Pierre Bergé. Au générique, les deux prodiges de la Comédie Française Pierre Niney et Guillaume Gallienne, tout récemment couronnés des succès populaires de « Comme des frères » et des « Garçons et Guillaume, à table ! ».
Synopsis Allociné : Paris, 1957. A tout juste 21 ans, Yves Saint Laurent est appelé à prendre en main les destinées de la prestigieuse maison de haute couture fondée par Christian Dior, récemment décédé. Lors de son premier défilé triomphal, il fait la connaissance de Pierre Bergé, rencontre qui va bouleverser sa vie. Amants et partenaires en affaires, les deux hommes s’associent trois ans plus tard pour créer la société Yves Saint Laurent. Malgré ses obsessions et ses démons intérieurs, Yves Saint Laurent s’apprête à révolutionner le monde de la mode avec son approche moderne et iconoclaste.
Il serait brûlant de ne pas s’attarder d’emblée sur les prestations ahurissantes de Niney et Gallienne. La métamorphose est totale, les performances à retenir dans les plus intenses du cinéma français récent, à l'instar de Jérémie Rénier en « Cloclo » début 2012. On peut d’ores et déjà s’attendre à une pluie de récompenses méritées. Justes sans forcer la caricature, touchantes sans verser dans le pathos, elles rendent admirablement compte du travail de recherche conséquent fourni par les deux comédiens, cela transparaissant d'ailleurs avec beaucoup de naturel sur les 1h40 de bobine. Plus discrètes, les figures féminines du film ne sont pourtant pas en reste, et les actrices pas les dernières à tirer leurs épingles du jeu. Charlotte Lebon apporte une élégance saisissante aux premiers instants du long-métrage, tout comme Laura Smet par la suite.
Quant à la mise en scène de Jespert, elle se fait souvent esthétisante, probablement à raison ; lui répond ainsi une photographie léchée qui se marie savamment avec l’univers créatif de Saint Laurent à mesure que l’on traverse les époques. Et la délicatesse des plans plus intimistes émeut avec tout autant de force, des premiers baisers dans un Paris magnifié jusqu’aux colères névrotiques caressées avec une pudeur justifiable.
En revanche, le spectateur est davantage troublé par une narration elliptique et en flashbacks, qui a tendance à brasser beaucoup pour en dire peu. Une impression de survol alourdit l’ensemble et les allers-retours dispensables avec le présent desservent un cadre temporel fort. Ce dernier aurait certainement pu exister en se déchargeant de cet hommage didactique post-disparition déjà inhérent au projet. Même impression face aux dialogues, où, à défaut de ne mettre en doute ni la véracité ni la sincérité des lignes, on s’étonne d’une théâtralité redondante qui rend l’anecdotique marquant, de manière quasi artificielle.

C’est le syndrome tristement célèbre des biopics qui frappe alors « Yves Saint Laurent » : dans son esthétique jusque dans son écriture, la neutralité du film finit par être absorbée par le désir de raconter la beauté d’une vie et la grandeur d’une Histoire. Y compris dans ses aspérités, ses faiblesses et ses défauts. Peut-être au prix de la chaleur d’un récit qui ne se laisse alors plus apprivoiser, un récit dont les personnages sont moins proches de nous, et dont la portée se fait plus insaisissable. Ainsi, sur ce plan, « Yves Saint Laurent » déçoit : mentionnons le final suspendu dans le sublime comme dans le vide de son silence déguisé – une non-conclusion en forme de prise de risque d’une fascinante beauté mais qui dans la continuité narrative ressemble à une allégorie d’une frustrante complexité.
Manque de personnalité des biographies filmées, vous avez dit ? L’autre exemple-témoin dans le cas d’« YSL » s’écrit sur partition : incontestable, l’attention portée à la bande-originale peine par moments à transfigurer la volupté des images sans un rendu pompeux. Omniprésente, la bande-son s’incarne en un personnage à part entière de l’odyssée d’Yves Saint Laurent, jusqu’à se faire hélas régulièrement envahissante. Comme si l'équipe perdait en recul avec son propos, et laissait la proximité avec le spectateur être consumée pour les besoins d’envergure du biopic. Finalement très symptomatique des pires travers du genre, la discutable utilité d’un surlignage sonore grandiloquent en est un exemple singulier, encore que les occurrences de sa qualité mise au service du film sont ici nombreuses.
En deux mots : « Yves Saint Laurent » culmine par une distribution exemplaire et une esthétique précieuse qui sait rendre un vibrant hommage à l’homme de mode comme à l’être humain. On regrette que l’aventure ne soit pas menée avec une ferveur plus stimulante et moins dépassée par son sujet dans sa dramaturgie.
Anecdote : En préparation pour le rôle, Pierre Niney a bien sûr visionné des dizaines de documentaires et s’est également entretenu avec Pierre Bergé régulièrement tout en apprenant le dessin. Et pour retranscrire le tabagisme démesuré de Saint Laurent (le styliste fumait parfois deux ou trois cigarettes en même temps tout en concevant les modèles), il a commencé à fumer des cigarettes de cinéma à l’Eucalyptus, au grand dam de l’équipe… de telles cigarettes empestant bien plus que des vraies !
 
La Bande Annonce d'Yves Saint Laurent :


NOTE : 7/10

Article rédigé par Douglas Antonio.

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