Ridley Scott : un sens
aiguisé de la composition plastique et du graphisme, quelques motifs récurrents
(la transmission père – fils, l'omniprésence de l'ennemi, marqué par des mondes
de guerriers et des figures de femmes fortes, la colorimétrie soignée utilisant
des filtres grisâtres, l'esthétique publicitaire, le montage souvent
ultra-rapide signé par le fidèle Pietro Scalia, la confrontation de
l'illustration et du mouvement, l'usage du story-board …), mais
surtout une carrière en dents de scie, des chefs d'œuvre
(« Alien, le huitième passager », « Blade Runner »,
« American Gangster », « Legend »), un drame surestimé
(« Thelma & Louise »), des films incompris
(« Prometheus », « Les Associés »), d'autres de qualité
tout à fait recevable (« Gladiator », « Lame de fond »,
« La Chute du faucon noir », « Mensonges d'Etat »), des
blockbusters mal écrits et/ou mal montés (« 1492 : Christophe
Colomb », « Kingdom of Heaven », « Hannibal »,
« Robin des bois », « À armes égales ») et enfin, un projet
personnel mineur (« Une grande année »).
Technicien idéal (rappelons que
Ridley Scott est issu du de l'univers de la publicité, où la perfection
visuelle est souvent de mise, au détriment du reste), conteur parfois
inspiré (hélas pas toujours et c'est d'ailleurs souvent là que le bât blesse),
tyran professionnel à ses débuts, Ridley Scott a vécu dans un véritable
ascenseur professionnel avec le public: succès colossal et/ou échec
monumental. En d'autres termes, l'audience l'a tour à tour adoubé, rejeté,
puis à nouveau encensé. Le réalisateur britannique, âgé de 75 ans, s'apprête à
sortir son nouveau long-métrage, « Cartel » (« The
Counselor » en VO), qui déboule dans les salles le mercredi 13 novembre.
Pourvu d'un casting prestigieux (Brad Pitt, Michael Fassbender, Penélope Cruz,
Cameron Diaz, Javier Bardem, Dean Norris, John Leguizamo …),
« Cartel » s'est fait laminer par la presse us et par le public, avec un accueil glacial le week-end de sa sortie.
Synopsis Allociné :
La descente aux enfers d'un avocat pénal, attiré par l'excitation, le danger et
l'argent facile du trafic de drogues à la frontière américano-mexicaine. Il
découvre qu'une décision trop vite prise peut le faire plonger dans une spirale
infernale, aux conséquences fatales.
Scénarisé par Cormac McCarthy –
écrivain d'origine, il avait déjà vu ses romans portés sur grand écran à
travers les films « De si jolis chevaux », « No Country for Old
Men », « La Route » et « Child of God » – « Cartel »
est un film bavard, long par moments, composé uniquement de discussions
face-à-face déroutantes, mais pourtant parcouru par d'incalculables
fulgurances, à commencer par le talent de metteur en scène de Ridley Scott qui
signe par exemple, le temps d'une mini-séquence, l'un des plus inventifs gunfights
de ces dernières années.
Dans « Cartel », un
avocat véreux (le « Counselor » du titre original) connaît une
véritable descente aux enfers, conséquence de choix risqués (attirance vers le
danger et l'argent facile), et de coïncidences malchanceuses. On retrouve par parcelles ce qui avait plu
dans « No Country for Old Men » et « La Route » : le trafic de drogue, les tensions en
bordure de la frontière américano-mexicaine, la violence sans concession, mais
surtout le nihilisme prononcé, la solitude, l'impuissance, le ton noir et
désespéré du romancier, décelable à travers les affreuses visions d'une Amérique
pré-Apocalyptique, via le destin fortement tragique des personnages
gravitant autour du Councelor, qu'ils soient innocents ou impliqués. De quoi
élaborer une sorte de continuum temporel entre le discours extrêmement
pessimiste de « No Country for Old Men » (Tommy Lee Jones dégoûté par
la cruauté du monde), la dégringolade de Fassbender dans « Cartel »
et le monde post-Apocalyptique de « La Route ». En fin de compte, des
fondements un peu amers (on accroche ou on refoule), mais qui ont
manifestement plu à Ridley Scott, indéniablement dépressif depuis quelques
années : les questions existentielles de « Prometheus » (Qui
sommes-nous ? D'où venons-nous ?) et le semi-échec du film, le deuil inachevé de
son frangin Tony, décédé par suicide l'été dernier …
La thématique des conséquences de
nos actes n'est, quant à elle, pas sans rappeler un certain Guy Ritchie, du
moins sur le plan du système de narration, où s'entre-mêle différents
personnages confrontés in finale aux mêmes angoisses.
Le gros souci de
« Cartel » – celui qui a probablement déconcerté la presse – est la
(fausse) complexité du récit, un récit qui s'emmêle les pinceaux là où il n'y a pas lieu
d'être : des conversations inutilement bavardes et impénétrables entre des
personnages assez mal caractérisés – McCarthy ayant vraisemblablement fait fi de
caresser le spectateur dans le sens du poil – le rythme flottant, avec des
scènes qui semblent désarticulées, les dialogues « dynamites » prêts
à éclater à tout moment …
Dommage car le réalisateur
britannique s'est pourtant offert un casting de choix pour interpréter ces
personnages à l'agonie lente, agressés dans leur humanité : tous les acteurs
excellent, à des kilomètres du glamour qu'on aurait pu fantasmer. Quelques
mentions : Cameron Diaz et sa scène du « poisson-chat », Javier
Bardem et sa coiffure déjantée, et enfin Brad Pitt et son chapeau de cowboy
couleur nacrée.
Bilan : La présence
de Cormac McCarthy à la plume de « Cartel » est l'un des atouts
majeurs du nouveau film de Ridley Scott. L'auteur à succès remarquable et
remarqué, dont les œuvres sont lues par Brad Pitt en livre audio et adulées par
des célébrités telles que James Franco ou Tommy Lee Jones, insuffle son style
désespéré tandis que Ridley Scott entretient un rapport étrange avec ses images
(mise en scène étonnamment froide). Peu d'empathie, beaucoup de détachement. On
adhère ou on passe son chemin.
Anecdote : Le héros
de « Cartel », Michael Fassbender, est « L'avocat » :
son nom n'est jamais cité de tout le film. Ce n'est pas cependant pas une
première puisqu'on retrouve le même principe notamment dans « Drive »
où Ryan Gosling est le « chauffeur » ou dans « The Dark
Knight » de Christopher Nolan, où le Joker n'a aucune identité.
La Bande Annonce de Cartel:
NOTE: 6/10
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