jeudi 21 mars 2013

L'Ecume des jours

Après avoir signé pléthore de vidéoclips plutôt barjos pour des auteurs aussi divers que Björk, The Chemical Brothers, Daft Punk, ou encore Kylie Minogue, Michel Gondry, notre frenchy chouchou d'Hollywood, avait fait l'unanimité grâce à ses collaborations marquées avec le scénariste tout aussi déjanté Charlie Kaufman, tout d'abord sur le déluré « Human Nature », puis dans un second temps grâce au carton critique et public « Eternal Sunshine of the Spotless Mind », véritable bijou cinématographique.
Pièce maîtresse de l'imaginaire de Gondry et monument fantasque, « Eternal Sunshine of the Spotlesse Mind » rentrait au panthéon du cinéma en conjuguant avec perfection poésie et mélancolie.
Puis vient « La Science des rêves » qui permit à Gondry de réaliser ses rêves de gamins les plus délirants en laissant libre cours à son imaginaire fou. Le maestro n'était pas en reste, puisqu'il récidive en 2009 avec le beaucoup plus léger « Soyez sympas, rembobinez », témoin avoué de son amour inconditionnel pour le 7ème art et notamment ces films de jeunesse réalisés « maison » avec les moyens du bord.
 
Mais c'est en 2011 que les choses se dégradent avec la sortie du blockbuster pop « The Green Hornet », film de super héros pourtant recevable, mettant en scène un Seth Rogen en roue libre. Trahison pour les uns, opportunisme doublé d'une compliance malsaine aux sirènes hollywoodiennes pour les autres, « The Green Hornet » déçoit et livre Gondry en pâture aux critiques acerbes. Rouste monumentale côté presse, le film ne trouvera également pas son public, récoltant beaucoup moins de dollars que prévu au box office américain.
Aujourd'hui, il semblerait que l'eau ait coulé sous les ponts. L'année dernière, Michel Gondry revenait en force avec le puissant « The We and The I », et souhaite désormais se réconcilier avec son public en adaptant le chef d'œuvre littéraire de Boris Vian « L'Ecume des jours ». Armé d'une bande annonce canon (les images travaillées merveilleusement mixées avec le son pop du groupe « The Lumineers »), le projet rassemble le gratin du cinéma français avec des noms aussi prestigieux que Romain Duris, Audrey Tautou, Omar Sy, Gad Elmaleh, Charlotte Le Bon, Alain Chabat, Philippe Torreton, ainsi que Laurent Lafitte et Zinédine Soualem, fétiche de Klapisch. Bref, que du beau monde.
Synopsis Allociné : L'histoire surréelle et poétique d'un jeune homme idéaliste et inventif, Colin, qui rencontre Chloé, une jeune femme semblant être l'incarnation d'un blues de Duke Ellington. Leur mariage idyllique tourne à l'amertume quand Chloé tombe malade d'un nénuphar qui grandit dans son poumon. Pour payer ses soins, dans un Paris fantasmatique, Colin doit travailler dans des conditions de plus en plus absurdes, pendant qu'autour d'eux leur appartement se dégrade et que leur groupe d'amis, dont le talentueux Nicolas, et Chick, fanatique du philosophe Jean-Sol Partre, se délite.
Pari osé et couillu que celui d'adapter au cinéma le roman de Boris Vian. Pourtant, à la poésie absurde et truffée d'amertume des maux du célèbre écrivain, Michel Gondry répond grandiosement par une mise en scène aussi déjantée qu'inventive, à l'imaginaire débordant – une idée géniale et délirante par plan – fidèle à son talent de magicien du cinéma et son karma avide de noirceur (rappelez-vous l'effet dépressogène de « Eternal Sunshine » ou de « La Science des rêves »).
L'illusionniste Michel Gondry met une nouvelle fois à contribution ses chimères de gosse ainsi que son extravagance – toutes les trouvailles ludiques sur les décors volontairement cartons pâte, la photographie inspirée, la transposition image des créations de Vian (le pianocktail, le biglemoi) et la superbe musique blues / jazz de Duke Ellington en harmonie avec le bouquin – au profit d'une œuvre unique, sophistiquée, poétique, pour le moins expérimentale.
Car, si le travail d'orfèvre et le génie créatif de Michel Gondry représentent un élément précieux sur la qualité du long métrage, le brillant metteur en scène français n'éclipse pas pour autant les émotions.
Sincère dans ses engagements avec Boris Vian, la fantaisie de Gondry laisse place dans une dernière partie noir & blanc absolument sublime à une audace et une sincérité balbutiante, anéantissant le spectateur d'un authentique désespoir.
Film détraqué, cruellement noir – en témoigne la descente aux enfers des couples Colin / Chloé, Chick / Alise – et judicieusement étouffant, « L'Ecume des jours » apparaît dès lors comme un trompe l'œil de son trailer faussement optimiste et de son accroche mensongère "la plus poignante des histoires d'amour", à destination des aficionados du roman, fins connaisseurs du pessimisme déroutant de Vian, qui laissait la gorge nouée à chaque page tournée.
« L'Ecume des jours » n'est pourtant pas exempt de défauts. Si l'on est incroyablement abasourdi par une mise en scène qui frôle la perfection, nous sommes nettement moins envoûtés par un casting assez inégal et nauséabond par moments, malgré les grands noms. Les personnages de Vian, rappelez-vous, ne font pas le récit, ils le servent juste, comme des paramètres pathétiques d'une fresque humaine qui les dépasse.
Si le film explore en effet, tout en sensibilité et en finesse, la complexité du sentiment amoureux, nous peinons à croire à l'alchimie des couples Romain DurisAudrey Tautou d'une part, Gad ElmalehAïssa Maïga d'autre part. La spontanéité de Duris, à peine crédible, se marie hélas grandement mal avec la pudeur de notre Amélie Poulain nationale. Quel dommage d'avoir choisi ces comédiens, pourtant talentueux, pour incarner Colin & Chloé, personnages foutrement plus juvéniles et moins débonnaires que leurs interprètes.
Le reste du générique est marqué par un Gad Elmaleh assez juste dans son obsession pathologique pour Jean-Sol Partre et compagnon d'infortune de Colin, un Omar Sy médiocre qui négocie délicatement son virage post success story « Intouchables », des souris farfelues, une Aïssa Maïga pas très baroque. En second plan le charme de Charlotte Le Bon, la folie (froide) d'Alain Chabat et le stoïcisme de Philippe Torreton, parfait en Jean-Sol Partre.
 
Bilan : L'imaginaire du metteur en scène Gondry épouse parfaitement le braque et l'amertume de l'écrivain Vian dans cette nouvelle adaptation cinématographique de « L'Ecume des jours », après une première version en 1968 tombée aux oubliettes. Allégorie du cancer ou satyre du capitalisme, le film du magicien Gondry se consomme tel le nénuphar qui consumme Chloé. Bravo à toi Michel, il fallait oser relever le défi de cette adaptation d'une œuvre réputée difficile.
 
La Bande Annonce de L'Ecume des jours:
 
 
NOTE: 9/10
 
 

2 commentaires:

  1. Je veux juste préciser que l'adaptation de Charles Belmont de 1968 n'est "tombée aux oubliettes" que pour des raisons de droits. On la verra bientôt.
    Jacques Prévert et Jean Renoir l'admiraient. Michèle Vian en a dit le plus grand bien dans Le Monde en 2012, de nombreux critiques l'ont encensée. Pour en savoir plus, extraits, photos et avis sur le blog :
    www.charlesbelmont.blogspot.fr

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    1. Merci pour cette précision. Hâte de la découvrir du coup.

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