Après avoir signé pléthore de
vidéoclips plutôt barjos pour des auteurs aussi divers que Björk,
The Chemical Brothers, Daft Punk, ou encore Kylie Minogue, Michel Gondry, notre frenchy chouchou d'Hollywood, avait fait l'unanimité
grâce à ses collaborations marquées avec le scénariste tout aussi
déjanté Charlie Kaufman, tout d'abord sur le déluré « Human Nature », puis dans un second temps grâce au carton critique
et public « Eternal Sunshine of the Spotless Mind »,
véritable bijou cinématographique.
Pièce maîtresse de l'imaginaire de
Gondry et monument fantasque, « Eternal Sunshine of the Spotlesse Mind » rentrait au panthéon du cinéma en conjuguant
avec perfection poésie et mélancolie.
Puis vient « La Science des rêves » qui permit à Gondry de réaliser ses rêves de gamins
les plus délirants en laissant libre cours à son imaginaire fou. Le
maestro n'était pas en reste, puisqu'il récidive en 2009 avec le
beaucoup plus léger « Soyez sympas, rembobinez », témoin
avoué de son amour inconditionnel pour le 7ème art et notamment ces
films de jeunesse réalisés « maison » avec les moyens
du bord.
Mais c'est en 2011 que les choses se
dégradent avec la sortie du blockbuster pop « The Green Hornet », film de super héros pourtant recevable, mettant en
scène un Seth Rogen en roue libre. Trahison pour les uns,
opportunisme doublé d'une compliance malsaine aux sirènes
hollywoodiennes pour les autres, « The Green Hornet »
déçoit et livre Gondry en pâture aux critiques acerbes. Rouste
monumentale côté presse, le film ne trouvera également pas son
public, récoltant beaucoup moins de dollars que prévu au box office
américain.
Aujourd'hui, il semblerait que l'eau
ait coulé sous les ponts. L'année dernière, Michel Gondry revenait
en force avec le puissant « The We and The I », et
souhaite désormais se réconcilier avec son public en adaptant le
chef d'œuvre littéraire de Boris Vian « L'Ecume des jours ».
Armé d'une bande annonce canon (les images travaillées
merveilleusement mixées avec le son pop du groupe « The Lumineers »), le projet rassemble le gratin du cinéma français
avec des noms aussi prestigieux que Romain Duris, Audrey Tautou, Omar Sy, Gad Elmaleh, Charlotte Le Bon, Alain Chabat, Philippe Torreton,
ainsi que Laurent Lafitte et Zinédine Soualem, fétiche de Klapisch. Bref, que du beau monde.
Synopsis Allociné :
L'histoire surréelle et poétique d'un jeune homme idéaliste et
inventif, Colin, qui rencontre Chloé, une jeune femme semblant être
l'incarnation d'un blues de Duke Ellington. Leur mariage idyllique
tourne à l'amertume quand Chloé tombe malade d'un nénuphar qui
grandit dans son poumon. Pour payer ses soins, dans un Paris
fantasmatique, Colin doit travailler dans des conditions de plus en
plus absurdes, pendant qu'autour d'eux leur appartement se dégrade
et que leur groupe d'amis, dont le talentueux Nicolas, et Chick,
fanatique du philosophe Jean-Sol Partre, se délite.
Pari osé et couillu que celui
d'adapter au cinéma le roman de Boris Vian. Pourtant, à la poésie
absurde et truffée d'amertume des maux du célèbre écrivain,
Michel Gondry répond grandiosement par une mise en scène aussi
déjantée qu'inventive, à l'imaginaire débordant – une idée
géniale et délirante par plan – fidèle à son talent de magicien
du cinéma et son karma avide de noirceur (rappelez-vous l'effet
dépressogène de « Eternal Sunshine » ou de « La Science des rêves »).
L'illusionniste Michel Gondry met une
nouvelle fois à contribution ses chimères de gosse ainsi que son
extravagance – toutes les trouvailles ludiques sur les décors
volontairement cartons pâte, la photographie inspirée, la
transposition image des créations de Vian (le pianocktail, le
biglemoi) et la superbe musique blues / jazz de Duke Ellington en harmonie avec le bouquin –
au profit d'une œuvre unique, sophistiquée, poétique, pour le
moins expérimentale.
Car, si le travail d'orfèvre et le
génie créatif de Michel Gondry représentent un élément précieux
sur la qualité du long métrage, le brillant metteur en scène
français n'éclipse pas pour autant les émotions.
Sincère dans ses engagements avec
Boris Vian, la fantaisie de Gondry laisse place dans une dernière
partie noir & blanc absolument sublime à une audace et une
sincérité balbutiante, anéantissant le spectateur d'un authentique
désespoir.
Film détraqué, cruellement noir –
en témoigne la descente aux enfers des couples Colin / Chloé, Chick
/ Alise – et judicieusement étouffant, « L'Ecume des jours »
apparaît dès lors comme un trompe l'œil de son trailer faussement
optimiste et de son accroche mensongère "la plus poignante des histoires d'amour", à destination des aficionados du roman, fins connaisseurs
du pessimisme déroutant de Vian, qui laissait la gorge nouée à
chaque page tournée.
« L'Ecume des jours » n'est
pourtant pas exempt de défauts. Si l'on est incroyablement abasourdi
par une mise en scène qui frôle la perfection, nous sommes
nettement moins envoûtés par un casting assez inégal et nauséabond
par moments, malgré les grands noms. Les personnages de Vian, rappelez-vous, ne font pas le récit, ils le servent juste, comme des paramètres pathétiques d'une fresque humaine qui les dépasse.
Si le film explore en effet,
tout en sensibilité et en finesse, la complexité du sentiment
amoureux, nous peinons à croire à l'alchimie des couples Romain Duris – Audrey Tautou d'une part, Gad Elmaleh – Aïssa Maïga
d'autre part. La spontanéité de Duris, à peine crédible, se marie
hélas grandement mal avec la pudeur de notre Amélie Poulain
nationale. Quel dommage d'avoir choisi ces comédiens, pourtant
talentueux, pour incarner Colin & Chloé, personnages foutrement
plus juvéniles et moins débonnaires que leurs interprètes.
Le
reste du générique est marqué par un Gad Elmaleh assez juste dans
son obsession pathologique pour Jean-Sol Partre et compagnon
d'infortune de Colin, un Omar Sy médiocre qui négocie délicatement
son virage post success story « Intouchables », des
souris farfelues, une Aïssa Maïga pas très baroque. En second plan
le charme de Charlotte Le Bon, la folie (froide) d'Alain Chabat et le
stoïcisme de Philippe Torreton, parfait en Jean-Sol Partre.
Bilan : L'imaginaire du
metteur en scène Gondry épouse parfaitement le braque et l'amertume
de l'écrivain Vian dans cette nouvelle adaptation cinématographique
de « L'Ecume des jours », après une première version en
1968 tombée aux oubliettes. Allégorie du cancer ou satyre du capitalisme, le film du magicien Gondry se consomme tel le nénuphar qui consumme Chloé. Bravo à toi Michel, il fallait oser
relever le défi de cette adaptation d'une œuvre réputée
difficile.
La Bande Annonce de L'Ecume des jours:
NOTE: 9/10
Je veux juste préciser que l'adaptation de Charles Belmont de 1968 n'est "tombée aux oubliettes" que pour des raisons de droits. On la verra bientôt.
RépondreSupprimerJacques Prévert et Jean Renoir l'admiraient. Michèle Vian en a dit le plus grand bien dans Le Monde en 2012, de nombreux critiques l'ont encensée. Pour en savoir plus, extraits, photos et avis sur le blog :
www.charlesbelmont.blogspot.fr
Merci pour cette précision. Hâte de la découvrir du coup.
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