vendredi 20 décembre 2013

Suzanne

Toujours se méfier d’un film précédé d’un very good buzz ! Dernier exemple en date : la comédie (surestimée) « Les Garçons et Guillaume, à table ! », auréolée de critiques dithyrambiques et d’une pléthore d’avis publics favorables avant même sa sortie salles obscures. Pourtant, si le film de Guillaume Gallienne est une franche réussite sur de nombreux points il faut l’avouer, il n’est pas non plus le chef d’œuvre comique annoncé. Mais « Les Garçons et Guillaume, à table ! » n’est pas le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, il s’agit plutôt de « Suzanne », second long-métrage – présenté en ouverture de la 52ème Semaine de la Critique, dans le cadre du Festival de Cannes 2013, et salué unanimement – de la réalisatrice Katell Quillévéré, après sa première excellente œuvre « Un poison violent » il y a 3 ans. Qu’en est-il réellement ?
Synopsis Allociné : Fille-mère à l’adolescence, Suzanne vit avec son père routier et sa sœur dont elle est inséparable. Sa vie bascule lorsqu’elle tombe amoureuse de Julien, petit malfrat qui l’entraîne dans sa dérive. S’ensuit la cavale, la prison, l’amour fou qu’elle poursuit jusqu’à tout abandonner derrière elle …
En 2010, Télérama loue la « délicatesse » d’« Un poison violent », premier film de Katell Quillévéré naviguant sur un « mode impressionniste avec d’authentiques éclats de grâce ». Un compliment superposable s'avère tout à fait envisageable pour « Suzanne », drame solaire empli d’amour dansant à peu près sur le même tempo. En filmant les 25 premières années de vie d’une fille – mère à l’adolescence, Katell Quillévéré brosse avec beaucoup de tendresse et de chaleur humaine le portrait d’un personnage perdu, en quête d’identité et d’affection, malmené par ce qui lui arrive (les sentiments pour un malfrat & la parentalité).
Un peu à la manière de David Lowery et de ses « Amants du Texas », Katell Quillévéré prend judicieusement le parti de ne pas filmer certains événements, notamment le dérapage marginal (les cavales, la violence, l’incarcération …), pour mieux s’attarder sur leurs conséquences (la dépression dû au manque chez l’un, l’évasion des sentiments chez l’autre). Chouette idée ! D’autant plus que Katell Quillévéré, pas vraiment ancrée dans un effet de « mode », affiche une véritable élégance formelle dans sa mise en scène, une densité et un raffinement dans son propos (une retenue bienvenue), ces qualités lui conférant instantanément un statut d’auteur. Avec « Suzanne », la scénariste / réalisatrice réussit, en effet, le pari de transcender un genre – pourtant archi codifié – en lui administrant sa marque personnelle.
Saluons à cet égard l’étonnante maîtrise du long-métrage, parcouru d’une dramaturgie exemplaire de regards et de contraste (les échanges entre Damiens & Forestier, silencieux mais riches de sens). Des ellipses narratives puissantes et intelligentes – exprimant mieux que tout le bouleversement provoqué par un événement – offrent également une valeur ajoutée.
L’excellente direction d’acteurs accrédite évidemment l’ensemble. François Damiens, à contre-emploi, est formidable en père fragile, tandis que Sara Forestier, habitée par son personnage, excelle une nouvelle fois (27 ans et déjà 2 César en poche, rappelons-le) et crève l’écran, palette de jeu incroyable à l’appui (la colère, la tristesse, l’indifférence, l’amour). On peut également applaudir la performance de la merveilleuse Adèle Haenel (décidément, les Adèle cette année !) dans le rôle de la sœur cadette et dont le talent de comédienne se trouve ici enfin révélé.
Bilan : « Suzanne », traduction imagée du tiraillement perpétuel entre l’inconscient (les mises en danger) et le conscient (subvenir aux besoins de notre progéniture), est un film à la fois mélancolique et lumineux, une œuvre magistrale et complexe, orchestrée de main de maître par Katell Quillévéré. Il faut dire que le jeu exceptionnel de Damiens & Forestier, particulièrement investis, aident fortement.
Anecdote : Fan de Leonard Cohen, Katell Quillévéré confesse avoir recommencé à écrire – notamment le scénario de « Suzanne » – à la suite d’un concert du célèbre musicien.


La Bande Annonce de Suzanne :


NOTE : 8/10

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